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Conférence internationale du Travail : le Groupe des travailleur·euse·s appelle à renforcer les Recommandations concernant le personnel enseignant

S’adressant à la Commission de l’application des normes de l’Organisation internationale du Travail (OIT) au cours de la Conférence internationale du Travail le 3 juin, le président de l’Internationale de l’Éducation (IE), Mugwena Maluleke, a réagi au rapport du Comité conjoint d’expert·e·s UNESCO-OIT sur l’application des Recommandations concernant la condition du personnel enseignant (CEART). En tant que porte-parole du Groupe des travailleur·euse·s, M. Maluleke a salué la proposition de révision des Recommandations de 1966 et 1997, soulignant que la révision devait s’appuyer sur les conclusions du Groupe de haut niveau des Nations Unies sur la profession enseignante.

« Le rapport du CEART réaffirme avec clarté ce que nous savons depuis toujours : les enseignant·e·s sont la pierre angulaire d’une éducation de qualité. L’assurance d’une éducation équitable et de haute qualité pour toutes et tous passe par une profession enseignante fiable, respectée et bien soutenue, et rémunérée de façon juste. Pourtant, la profession reste confrontée à des problèmes chroniques : en plus d’être sous-évaluée, elle est surchargée de travail et sous-payée. Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons investir de toute urgence dans la profession enseignante et défendre les droits des enseignants et enseignantes », a déclaré Maluleke.

Les facteurs contribuant à la pénurie mondiale d’enseignant·e·s

Comme le souligne le rapport du CEART, la pénurie mondiale d’enseignant·e·s, évaluée à 44 millions dans les écoles primaires et secondaires et à 6 millions supplémentaires dans l’éducation de la petite enfance, continue de menacer à la fois la qualité de l’éducation et le progrès social en général.

Le Groupe de haut niveau convoqué par le Secrétaire général des Nations Unies en 2024 a correctement identifié les causes de la pénurie : salaires non compétitifs, mauvaises conditions de travail, érosion des droits du travail, recul de l’autonomie professionnelle et possibilités limitées de croissance et de développement.

M. Maluleke a rapporté que pour les syndicats du monde entier, toutes régions confondues, les bas salaires représentent le facteur le plus important à l’origine de la pénurie d’enseignant·e·s, soulignant que « les coupes budgétaires conduisent à des salaires non compétitifs et à une dégradation des conditions de travail, ce qui finit par nuire à la qualité de l’enseignement public ». Comme le souligne le rapport du CEART, divers facteurs, notamment les bas salaires, érodent le prestige et l’attrait de l’enseignement qui apparaît de plus en plus comme un travail de dernier recours.

Parmi les autres facteurs à l’origine de la pénurie d’enseignant·e·s, citons la prolifération des contrats temporaires, à court terme et à temps partiel qui créent de la précarité dans le secteur ; l’érosion de l’autonomie professionnelle et de la liberté académique même dans les pays qui se considèrent démocratiques ; ainsi qu’une crise croissante de la santé mentale et de la sécurité au sein du corps enseignant, qui signale souvent des difficultés à concilier vie professionnelle et vie privée et des niveaux de stress élevés.

S’exprimant au nom du Groupe des travailleur·euse·s nordiques, Liz Helgesen a fait écho à ces conclusions, notant que le recrutement en Norvège n’a jamais été aussi bas. Helgesen a souligné la violence et le harcèlement croissants auxquels les enseignant·e·s sont confronté·e·s, la nécessité de protéger l’autonomie de ces professionnel·le·s en tant qu’impératif démocratique, ainsi que la dimension de genre que présentent ces défis, compte tenu de la prédominance des femmes dans les secteurs de la petite enfance et de l’enseignement primaire où les salaires et le statut sont les plus bas.

L’impératif du soutien aux enseignant·e·s dans les situations de crise et d’urgence

Le rapport du CEART met en garde contre les difficultés rencontrées par les enseignant·e·s dans les situations de crise et d’urgence, en soulignant les risques en matière de sûreté et de sécurité. Il est impératif de répondre aux besoins physiques, émotionnels et psychosociaux de la profession ainsi que de garantir une rémunération équitable et prévisible afin de soutenir les professionnel·le·s qui permettent à certains des enfants les plus vulnérables de la planète d’accéder à l’éducation.

« Nous relayons l’appel du CEART à réviser les Recommandations de 1966 et 1997 en intégrant les conclusions du Groupe de haut niveau des Nations Unies qui soulignent la nécessité d’un soutien ciblé au profit des enseignant·e·s travaillant dans des situations d’urgence, y compris un financement accru et des systèmes de paie robustes pour assurer une rémunération adéquate et en temps opportun », a déclaré M. Maluleke.

L’impact des technologies numériques et de l’intelligence artificielle sur l’enseignement et l’apprentissage

L’introduction des nouvelles technologies numériques et de l’IA dans l’éducation pose des défis importants aux enseignant·e·s. Alors que certain·e·s risquent d’être remplacés par l’IA, d’autres subissent les retombées négatives d’une surveillance renforcée, d’une charge de travail accrue ou d’une incapacité à se déconnecter sur leur vie professionnelle.

Le président de l’IE a salué l’appel du CEART à la révision des Recommandations de 1966 et 1997 pour mettre l’accent sur le respect des moyens d’action, de l’autonomie, des choix pédagogiques et des sensibilités des enseignant·e·s dans le développement et le déploiement des technologies dans les salles de classe. Les enseignant·e·s doivent être placé·e·s « au cœur de l’innovation et de la mise en œuvre technologiques en reconnaissant que le dialogue social est essentiel dans la sélection, le déploiement et la supervision des technologies », a déclaré Maluleke.

Atteinte aux droits du travail et absence de dialogue social avec la profession

Notant que toutes les questions examinées pourraient être traitées plus efficacement par le dialogue social entre les syndicats de l’éducation et les gouvernements, Maluleke a souligné que près de 20 % des syndicats signalent des mécanismes de dialogue social faibles ou inexistants en matière de rémunération, de temps de travail et de sécurité de l’emploi.

Dans leurs interventions, Tobokani Rari du Botswana Sectors of Educators Trade Union (BOSETU), Melissa Ansell-Bridges du New Zealand Council of Trade Unions Te Kauae Kaimahi, Isabel Olaya de la FECODE Colombie, également vice-présidente de l’Internationale de l’Éducation Amérique latine, Jose Olivera de la FENAPES Uruguay et Roberto Baradel, membre du Bureau exécutif de l’IE et de la CTERA Argentine, partageaient les inquiétudes exprimées par le président de l’IE.

Au Botswana, les syndicats alertent à propos des pressions exercées par le gouvernement en vue de privatiser l’éducation, limitant l’accès des enfants les plus défavorisés. Dans le même temps, devant l’insuffisance de la loi en matière de protection des droits des travailleur·euse·s es du secteur privé, la plupart des professionnel·le·s de l’éducation du pays verront leur capacité à négocier efficacement et à conclure des conventions collectives sévèrement compromise.

Les éducateur·trice·s en Nouvelle-Zélande sont également confronté·e·s à une initiative du gouvernement visant à privatiser l’éducation et à limiter leurs droits du travail. Un nouveau projet de loi introduit la création de charter schools, ces écoles publiques dont la gestion est déléguée à un prestataire privé mais qui restent financées par l’État. Dans les écoles qui se convertissent ainsi en charter schools, les éducateur·trice·s ne sont pas couvert·e·s par des conventions collectives, ne bénéficient pas d’indemnités en cas de licenciement et sont lié·e·s par des contrats de travail individuels. « Il ne fait aucun doute que cette situation exacerbera encore les préoccupations mentionnées précédemment en ce qui concerne la rétention des enseignant·e·s, » a déclaré Melissa Ansell-Bridges, secrétaire du New Zealand Council of Trade Unions Te Kauae Kaimahi.

À propos de la situation en Amérique latine, Isabel Olaya a dénoncé « la persécution constante et systématique des syndicats par les gouvernements ». La vice-présidente de l’IE Amérique latine a également souligné que sans la liberté syndicale, la négociation collective et le droit de grève, les éducateur·trice·s ne peuvent défendre leurs conditions de travail, ni la qualité de l’enseignement public.

Jose Olivera, secrétaire général de la FENAPES Uruguay, affiliée à l’IE, a lui aussi partagé ces préoccupations et mis en garde contre les retombées de la pénurie d’enseignant·e·s et de la privatisation de l’éducation sur le droit fondamental à l’éducation et à la justice sociale en Amérique latine. Le dirigeant syndical a exprimé son soutien à la révision des Recommandations de 1966 et 1997, pour mettre l’accent sur l’intégration des propositions politiques du Groupe de haut niveau des Nations Unies sur la profession enseignante.

Roberto Baradel, de la CTERA Argentine, a rendu compte de la situation dans son pays, dénonçant le décret du gouvernement qui limite le droit de grève du personnel enseignant et d’autres secteurs. Le décret qualifie l’éducation de « service essentiel », mais uniquement aux fins de restreindre les actions de grève. Les syndicats de l’éducation estiment que ce décret, qu’ils considèrent comme inconstitutionnel et injuste, viole également leur droit de grève.

« De plus en plus, nous assistons à des manœuvres visant à utiliser le droit à l’éducation comme prétexte pour restreindre les droits du travail. Mais que les choses soient claires : les enseignant·e·s ne peuvent pas garantir le droit à l’éducation si leurs propres droits sont bafoués. Le Groupe des travailleurs et travailleuses réitère avec force qu’un dialogue social solide et une négociation collective efficace sont les seules voies durables vers des conditions de travail décentes », a souligné Maluleke.

Vers une révision des Recommandations concernant le personnel enseignant fondée sur les conclusions du Groupe de haut niveau des Nations Unies

Le président de l’IE a appuyé la suggestion du CEART de réviser les Recommandations de 1966 et 1997 en intégrant les politiques proposées par le Groupe de haut niveau des Nations Unies sur la profession enseignante.

Les recommandations révisées devraient ainsi répondre à ces objectifs :

  • Combattre les inégalités au sein de la main-d’œuvre, articuler une approche intersectionnelle de la discrimination et souligner l’importance d’un environnement de travail inclusif, sûr et non discriminatoire pour l’ensemble du personnel enseignant ;
  • Reconnaître les défis qu’engendrent la crise climatique et la transformation numérique pour les conditions de travail ainsi que l’autonomie professionnelle et les moyens d’action des enseignant·e·s ; et
  • Reconnaître le rôle crucial et les droits des éducateur·trice·s de la petite enfance.

« Le Groupe des travailleurs et travailleuses est prêt à soutenir le processus de révision et à veiller à ce que les voix des enseignants et enseignantes soient entendues, respectées et prises en considération, en travaillant aux côtés des gouvernements et des employeurs. Seuls des systèmes éducatifs portés par des enseignants et enseignantes et des travailleurs et travailleuses de l’éducation dûment formés, convenablement rémunérés et bien soutenus peuvent répondre à l’évolution rapide du monde du travail ainsi qu’aux exigences mondiales en matière de justice sociale », a conclu Maluleke.